Pourquoi tourne-t-on la page d’une bande-dessinée de médiation
des savoirs ou de vulgarisation scientifique ? Le plus souvent, parce
que les savoirs proposés sont tout à fait intéressants et bien
expliqués. Parfois, parce qu’une bonne touche d’humour rend la
lecture d’un sujet a priori assez « sérieux » plus
enthousiasmante. Mais ces deux motifs ne mettent pas en lumière tous
les forces de la bande-dessinée, à commencer par la première de
toutes : l’opportunité de raconter une histoire et de mettre en
scène des personnages complexes.
Parce qu’elle s’est
beaucoup développée ces dernières années, la bande-dessinée de
vulgarisation scientifique a trouvé ses marques, quitte à
s’installer, parfois, dans quelques habitudes : la figure de «
l’expert », personnage souvent fugace et linéaire, un texte en
voix off (le cartouche), qui pourrait théoriquement se passer
d’illustrations ou un ton parfois désincarné qui rappelle encore
trop celui d’un article scientifique. Autant d’« astuces »
narratives, qui font que quand même, lorsqu’on lit une
bande-dessinée de vulgarisation scientifique, on a souvent
l’impression de travailler.
Extrait de "Les Feuilletons de Ptolémée, Terra Australis", où Ptolémée déambule dans une étrange île-continent, à la rencontre des illustres savant·e·s |
Ceci dit, il et tout de même temps de se poser la question : comment ne pas faire du « Bdwashing » ? Comment ne pas utiliser la bande-dessinée simplement parce que c’est plus attractif ? Comment mobiliser tous les atouts de la BD sur des sujets a priori complexes pour créer des travaux de qualité articulant des savoirs et une belle histoire ?
Aux Savoirs Ambulants, on réfléchit depuis plusieurs années à une autre manière de faire de la médiation des savoirs en BD, en passant d’une logique de vulgarisation scientifique à une logique de Narration Scientifique. En théorie, rien de compliqué : il s'agit « simplement » de ne pas oublier l'histoire (ce qu’il se passe), même lorsque l'on parle de choses très sérieuses. Concrètement ? Réduire au maximum les cartouches (ces pavés de texte carrés souvent trop copieux et peu dynamiques), privilégier les dialogues entre des personnages fouillés et surtout... raconter une histoire. Et quand il s’agit de mettre en récit, la fiction devient inévitablement un levier majeur.
Extrait de "Du noir au vert, escale à Harnes", où Martin, batelier, fait escale malgré lui dans l'agglomération de Lens-Liévin et y découvre un territoire bien changé par rapport à sa dernière visite |
Les dernières productions en ligne attestent de ce virage en
matière d’écriture : si quelques cartouches subsistent
parfois, certains travaux n’en ont plus du tout. Résultat ?
Des travaux plus légers, des dialogues plus réalistes et moins
figés, des intrigues mieux ficelées et plus attractives. Si ces
tentatives en la matière ne sont que des premiers pas, elles
répondent à un enjeu majeur : donner à voir du savoir, mais
aussi une histoire, sans sacrifier l’un pour l’autre !
Exemples de productions faisant la part-belle à l'histoire ou aux dialogues :
- (2022) Living the dream ? (Le parcours compliqué d'une migrante entrepreneuse en Suisse.)
- (2020-2021) Les Feuilletons de Ptolémée E01, et E02 (les tribulations historio-cartographiques d'un Ptolémée
légèrement déréglé qui ne trouve jamais son compte dans le
travail cartographique des autres)
- (2021) Paysan·ne, pourquoi pas moi ? (une enquête sur le monde des paysan·ne·s en AMAP)
- (2017) Du noir au vert, escale à Harnes (de la prospective territoriale en bande-dessinée !)
Et, en novembre 2024, un album BD sur l'histoire de la cartographie entièrement écrit sous le sceau de la narration scientifique ! 😉